Des veaux, des oies et un sous-marin, par Macha Séry

éjouer les lieux communs et bifurquer d'une vie toute tracée. Pour Vladimir Pilipenko, paysan ukrainien à la retraite, tout est parti d'un proverbe : "Dans les steppes d'Ukraine, jamais on ne verra de sous-marin." L'homme tenait là son idée : "Construire un sous-marin qui pourra rouler sur terre et naviguer sous l'eau." Pourquoi ? Pour "parler avec les poissons, avec les algues", pardi !

Quand il a confié son projet, beaucoup ont ri aux éclats, lui suggérant plutôt d'assembler, pièce à pièce, une faucheuse, un tracteur, mieux, un avion pour survoler les champs. Mais non, mais non. M. Pilipenko n'a pas renoncé à son rêve. Avec sa bouille d'enfant raturée de rides, l'autodidacte s'est attelé, vingt ans durant, à son grand oeuvre à l'aide d'un numéro de la revue Le Sous-Marinier amateur. Au grand dam de sa femme, mais avec la complicité de Sergueï, son ami du kolkhoz.

Cette passion et ce labeur patient, les travaux et les jours à Evguenika, les poissons de l'étang à nourrir, les visites du petit-fils, élève au lycée militaire, tout cela nous était conté joliment dans le documentaire de Jan Hinrik Drevs et René Harder Le Sous-Marin vert de M. Pilipenko, proposé par Arte jeudi 16 août, à 15 h 15 (câble, satellite et TNT).

Coiffé d'un périscope, armé d'un harpon, boursouflé de hublots, l'engin en question est de la dimension d'une petite Fiat. Vert pomme, il ressemble à l'un de ces jouets enclos dans les oeufs en chocolat Kinder Surprise. Pas plus de deux hommes peuvent s'asseoir dans l'habitacle.

Après une répétition dans l'un des étangs du village, le sous-marin est fin prêt à être immergé en mer Noire. Il faut d'abord le convoyer dans un camion. Les vaches meuglent, les chiens aboient, et le sous-marin passe. Sur le trajet, un homme demande à l'inventeur qui l'a "sponsorisé". "Des cochons, des veaux et des oies", répond l'admirable M. Pilipenko, qu'on croirait surgi d'une nouvelle de Marcel Aymé ou d'une comédie poético-burlesque de René de Obaldia, l'auteur du Cosmonaute agricole. Car c'est la production de la basse-cour qui a alimenté son jardin secret. En Crimée, des jeunes femmes en bikini posent pour la photo devant la machine. M. Pilipenko, lui, trempe ses chaussons dans l'eau pour en évaluer la profondeur. Hélice cassée, propulseur grillé, tuyau pété, qu'importe !, le grand bain est un succès. L'année prochaine, avec Sergueï, c'est promis, ils plongeront à cent mètres, et en mer Rouge cette fois.

Où qu'ils soient dans le monde, des utopistes, des rêveurs patentés, des héritiers du facteur Cheval, bâtissent des chimères et poursuivent un songe dans leur ligne d'horizon. Ils n'ont pas un petit vélo dans la tête, juste un sous-marin dans le garage.

Macha Séry